Nos Chercheurs sous le feu des projecteurs: Professeur Simon Wolfgang Fuchs

Nos Chercheurs sous le feu des projecteurs: Professeur Simon Wolfgang Fuchs

Au cours d'une conversation pleine de franchise, Simon Wolfgang Fuchs révèle certaines des expériences révélatrices qui ont façonné son exploration de la tradition savante de l'Islam dans les sociétés musulmanes contemporaines. Combinant curiosité intellectuelle et rigueur académique, Fuchs navigue à travers les courants complexes de l'histoire, de la culture et de la politique pour découvrir des récits cachés et mettre en lumière des perspectives négligées. En abordant certains des défis fondamentaux auxquels est confronté le domaine des sciences humaines, il met en lumière l'impact de l'avancement technologique sur l'enquête érudite, nous incitant à reconsidérer les récits établis et à pratiquer l'investigation avec un regard critique.

Écrit par Keri Rosenbluh


La première rencontre de Simon Fuchs avec Jérusalem n'est pas née d'une passion profondément enracinée pour la région, mais plutôt d'un concours de circonstances qui l'a conduit en Israël en tant que jeune citoyen allemand remplissant son service national obligatoire. Lorsque ses espoirs de faire son service dans un lieu aussi séduisant que l'Amérique du Sud se sont évanouis, Fuchs a fait contre mauvaise fortune bon cœur et pris, à la place, un avion pour Israël. À ce moment-là, il ne savait pas que son affectation temporaire au cœur du Moyen-Orient sèmerait les graines de ses futures recherches académiques et de sa carrière.

Arrivé à Jérusalem en 2001 dans le contexte de la Seconde Intifada, Fuchs s'est retrouvé aux prises avec les complexités de la région. En travaillant avec des adultes handicapés à Jérusalem, il a été plongé dans un melting-pot particulièrement diversifié, où, autour de patients juifs, des travailleurs sociaux arabes, des jeunes femmes ultra-orthodoxes accomplissant leur service national et des volontaires internationaux étaient réunis pour aider des personnes dans le besoin. C'est au milieu de cette mosaïque de récits et d'identités que la curiosité de Fuchs pour les complexités du Moyen-Orient a été éveillée pour la première fois.

En raison des tensions accrues dans la région et des inquiétudes que celles-ci engendraient chez sa famille, le service de Fuchs a été écourté, et il est retourné en Allemagne au printemps 2002. "C'est là que tout a commencé, raconte Fuchs. Même alors je savais que je n'en avais pas terminé avec la région ; j’éprouvais le désir de l’explorer davantage."

A l'automne 2023, Fuchs, âgé de vingt-deux ans, est arrivé à Jérusalem pour la deuxième fois, accompagné de sa femme et de son fils, pour prendre en charge un poste à la faculté des sciences humaines en tant que professeur associé, spécialiste de l’Islam en Asie du Sud. "Sur le plan académique, j'ai bouclé la boucle, et c'est bon d'être ici." Réfléchissant au contexte de ses deux voyages, Fuchs commente l'étrange coïncidence entre ceux-ci et les bouleversements qui se produisaient à ce moment-là dans la région. "Je dois l’admettre, il y a une certaine ironie dans le calendrier de mes voyages", plaisante-t-il. Pourtant, sous la légèreté, se devine un récit plus profond d'enquête érudite et de curiosité intellectuelle, en particulier en ce qui concerne la transmission des idées à travers l'Asie centrale, de l'Ouest et du Sud, ainsi que la pensée politique islamique, le chiisme transnational et les mouvements de gauche dans le monde musulman, entre autres domaines. La trajectoire académique de Fuchs s’est caractérisée par un incessant effort de compréhension, et l’a poussé à parcourir les continents et à transcender les frontières disciplinaires. Ses voyages l'ont conduit dans divers pays tels que l'Égypte, le Pakistan, l'Inde, l'Irak, l'Iran, la Syrie, la Tunisie et le Liban.

Durant ses études doctorales aux États-Unis, Fuchs a été encouragé par son conseiller à sortir du terrain familier du Moyen-Orient et à explorer les frontières moins traditionnelles de l'Islam en Asie du Sud. Initialement hésitant, il a rapidement été captivé par la riche interaction entre ces régions en apparence autonomes. Ses efforts de recherche ont depuis traversé les domaines de l'Islam, dévoilant l'interconnexion de ces paysages complexes.

De retour en Allemagne, Fuchs s’est vu mis au défi de concilier son expertise diversifiée et ses intérêts de recherche avec l'approche académique allemande plus traditionnelle où, comme le dit Fuchs, "l'Islam en Asie du Sud est difficile à vendre". Stratégiquement, il a recentré son attention sur le Moyen-Orient, bien qu'il ait continué à nourrir un intérêt profond pour les récits des deux régions.

Cela l'a conduit à ses recherches actuelles sur l'histoire mondiale de la révolution iranienne et ses répercussions dans des contextes non-chiites après 1979. Allant au-delà des récits plus conventionnels du Liban et de l'Irak, Fuchs expose les innombrables voix et perspectives à travers le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-Est qui ont été attirées par les changements sismiques en Iran. "Alors que beaucoup ont plus tard été désillusionnés par ce qu'était devenu l'Iran, il y avait un moment précoce où les gens pensaient 'Ouah, c'est vraiment épatant.' Cela présentait une alternative à la dichotomie de la Guerre froide, un troisième cadre socio-politique qui semblait incroyablement attractif. Vous aviez l’impression qu’il était possible de renverser un régime autoritaire bien établi, disposant de ressources abondantes, et peut-être de créer quelque chose de nouveau," explique-t-il. Ses recherches visent à récupérer certains de ces récits marginalisés et négligés, couvrant diverses langues et cultures. Avec sa récente nomination à une chaire d'Islam et d'Asie du Sud, Fuchs peut embrasser la totalité de ses intérêts de recherche. "Enseigner à la fois en études asiatiques et en études du Moyen-Orient islamique est vraiment merveilleux," confie Fuchs. "C'est ce qui m'a attiré à l'Université hébraïque, et c'est un aspect significatif de ce qui rend ce travail si gratifiant." Cet espace académique idéal donne non seulement à Fuchs la possibilité de mener des recherches plus approfondies, mais souligne également l'importance de combler les fossés culturels et géographiques pour cultiver une compréhension plus nuancée de phénomènes historiques complexes.

Dans une publication récente issue de son dernier voyage en Iran en 2019, Fuchs partage certaines de ses découvertes tout en enquêtant sur les opérations d'un bureau établi en Iran au début des années 1980 pour nouer des liens avec les mouvements de libération à travers le monde. Alors qu’il explorait les archives de la Bibliothèque nationale, il est tombé sur un trésor de documents classifiés dans la section des non-livres de la bibliothèque. Ces rapports, rédigés par des délégations iraniennes envoyées en 1983 dans diverses régions d'Afrique subsaharienne, d'Asie du Sud, d'Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient, offraient des aperçus minutieusement documentés sur les efforts de l'Iran pour forger des alliances et naviguer dans le paysage géopolitique de l'époque.

Fournissant une vue détaillée des défis logistiques, de la mauvaise planification et des critiques internes, ces documents constituent ce que Fuchs décrit comme "un rare aperçu de rapports qui n'étaient pas censés être diffusés". Selon Fuchs, ils remettent non seulement en cause les récits conventionnels, mais offrent également une nouvelle perspective sur les efforts de l’Iran pour parvenir à un rayonnement mondial. "Ils révèlent dans quelle mesure l'Iran prenait la température à l'époque, essayant de déterminer où avait encore des amis ".Fuchs évoque sa découverte de ces documents classifiés comme un exemple classique des "trésors inattendus qui rendent notre recherche si exaltante."

En discutant des défis auxquels est confronté le domaine des sciences humaines, Fuchs pointe du doigt la disponibilité écrasante des ressources en ligne comme une épée à double tranchant. "Alors qu'il peut sembler que toutes les informations dont nous avons besoin sont à portée de main, facilement accessibles, si nous ne faisons pas attention, l'abondance peut conduire à des perspectives biaisées et à une compréhension étroite de questions complexes. En tant qu'universitaires, nous devons apprendre à trouver un équilibre entre l'utilisation de ces outils et la préservation de notre rigueur universitaire." Fuchs prend comme exemple un cours qu'il a donné l'année dernière et qui portait sur l'occultisme et la magie dans l'Islam. Alors que les sources contemporaines condamnent souvent de telles pratiques comme interdites par la charia, elles n’abordent pas leur prévalence dans les sociétés islamiques médiévales, où les croyances occultes étaient non seulement acceptées mais également intégrées à la vie quotidienne. L'abondance de textes condamnant ces pratiques dans le discours moderne obscurcit les perspectives historiques et déforme les faits. "La clé, selon Fuchs, réside dans l'orientation humaine", qu'il considère comme essentielle pour déchiffrer les vérités historiques au milieu du déluge d'informations numériques biaisées d'aujourd'hui. En essence, cette approche souligne la pertinence durable de la formation en sciences humaines pour l'analyse et la contextualisation critiques des récits historiques.

Pourtant, aux côtés de ces défis, Fuchs reconnaît également des opportunités sans précédent. "La démocratisation de l'accès à des perspectives diverses grâce à la technologie nous permet d'inclure des voix et des langues qui étaient auparavant inaccessibles." De plus, il pose des questions importantes. "Qui est en position de pouvoir parler ? Et comment pouvons-nous inclure beaucoup plus de voix ?" L'impératif de prendre en compte des perspectives marginalisées est devenu de plus en plus urgent et, selon Fuchs, "si nous échouons, nous risquons de perpétuer les hiérarchies et la domination existantes, et d’appauvrir le discours universitaire."

En abordant les défis sociétaux et mondiaux plus larges, Fuchs est convaincu que sa recherche joue un rôle crucial dans l'humanisation des groupes étudiés, notamment en temps de conflit. "Prenons, par exemple, mon cours sur l'Afghanistan, où les récits pourraient facilement se transformer en dichotomies simplistes du bien contre le mal. J'essaie de démêler les complexités des expériences humaines au sein de ces groupes. Par exemple, alors que certains peuvent dépeindre le conflit comme une lutte entre de mauvais communistes et de justes combattants de la liberté, un examen plus approfondi révèle une réalité plus nuancée." Fuchs explique que l'aide au développement soviétique, bien que souvent critiquée, a laissé une empreinte durable sur l'éducation et l'infrastructure de logements en Afghanistan, contrastant avec la nature transitoire de l'aide d'autres nations. De même, les individus étiquetés comme islamistes radicaux ou idéologues communistes ont souvent des parcours complexes, avec des motivations allant de la ferveur religieuse au profit opportuniste. "En mettant en évidence ces nuances, j'espère remettre en question les récits communément acceptés et encourager une compréhension plus profonde des complexités humaines derrière les conflits."

Grâce à des cours tels que "Là où les empires viennent mourir" et "La Mer musulmane", Fuchs suscite la curiosité parmi les étudiants, éclairant des sujets captivants tels que l'Océan Indien, l'histoire complexe de l'Afghanistan, l'interaction de la religion et de l'État au Pakistan et l'évolution numérique de l'Islam. En incitant les étudiants à s'engager avec des récits multifacettes, Fuchs inspire une approche plus profonde et plus critique des dynamiques mondiales, offrant des perspectives rafraîchissantes et révélatrices qui sont une contribution bienvenue à la Faculté des sciences humaines et à ses étudiants.

Pour en savoir plus sur le Professeur Simon Wolfgang Fuchs, rendez-vous ici.