Nos Chercheurs sous le feu des projecteurs: le professeur émérite : Prof. Arnold I. Davidson

Nos Chercheurs sous le feu des projecteurs: le professeur distingué: Prof. Arnold I. Davidson

Rencontrez Arnold Davidson, professeur distingué de pensée humanistique à l'Université hébraïque de Jérusalem. La trajectoire professionnelle de Davidson, connu pour sa curiosité intellectuelle insatiable, est aussi éclectique que remarquable. Dans un entretien franc et réfléchi, il offre des perspectives sur son parcours intellectuel, mettant en lumière ses centres d’intérêt et ses projets de recherche passés, présents et futurs. Davidson, d’une manière très stimulante, partage avec ses lecteurs des perspectives philosophiques et théologiques captivantes sur des thèmes tels que la Shoah, la transformation de soi et les choix existentiels.

Écrit par : Keri Rosenbluh


Le parcours d'Arnold Davidson dans le monde académique a pris très tôt un tournant non conventionnel. Après avoir, dans sa jeunesse, perdu la validité de sa main gauche suite à une blessure (première manifestation d'une maladie osseuse rare), Davidson a consacré la majeure partie de son adolescence à ce qui allait devenir la passion de toute sa vie, l’étude. « Ma main, qui m'empêchait de faire beaucoup d'autres choses, m’a mis dans une situation où la seule activité qui m’était possible était la lecture. Et donc, je lisais, constamment. Ma blessure a façonné de manière significative la trajectoire de ma vie », analyse-t-il.

Après plusieurs années passées à se plonger dans une lecture continuelle, Davidson a commencé ses études de premier cycle à l'Université de Georgetown. Quelques semaines après, il est devenu évident, tant pour le doyen que pour les professeurs, que ses connaissances avancées dépassaient le programme de premier cycle. Encouragé par ses mentors, Davidson a dont abandonné ce dernier pour passer directement en maîtrise.

Le parcours intellectuel de Davidson l'a conduit à l'exploration de thèmes divers, de la littérature à la musique et à la psychologie, jusqu’à ce qu’il trouve son « chez-soi » en philosophie. « Pour moi, la philosophie est une manière de tout faire », explique-t-il. « Si je m'intéresse à l'art, je me tournerai vers la philosophie de l'art ; s'il s'agit de science, j'explorerai la philosophie des sciences, et ainsi de suite. » De Georgetown, il est passé à Harvard où il a non seulement obtenu son doctorat, mais a également eu le privilège d'étudier sous la tutelle des « philosophes les plus extraordinaires de l'époque ». Ainsi a commencé sa prestigieuse carrière, marquée par des postes de professeur invité dans des institutions célèbres du monde entier, notamment Stanford, Harvard, Princeton, l'Université de Chicago, l'Université de Pise, l'Université Ca'Foscari de Venise, l'École Normale Supérieure l'Université de Paris-Sorbonne, et le Collège de France, entre autres.

En 2021, le gouvernement français a promu Davidson au plus haut rang, Commandeur, dans l'Ordre des Palmes Académiques, en marque de reconnaissance pour sa contribution à l'enseignement et à la promotion de la pensée et de la culture françaises.

Tout au long de sa carrière, les recherches savantes de Davidson ont défié les catégories conventionnelles. « Les gens m'ont toujours demandé : ‘Que fait exactement Davidson ?’. Et ma réponse a toujours été : ‘Tout ce qui m'intéresse, c'est ce que je fais’. », raconte-t-il avec amusement. Qu'il s'agisse de se plonger dans la philosophie française, la religion, l'histoire de la sexualité, le jazz, la Shoah ou les pratiques de transformation de soi, Davidson décrit ses poursuites éclectiques comme un moyen de rester intellectuellement vibrant, de cultiver sa curiosité. Il a accompli la majeure partie de sa carrière à l'Université de Chicago, où il a occupé des postes de professeur titulaire dans cinq départements différents. « Cela signifiait que je pouvais passer facilement de la philosophie   aux études religieuses, des langues romanes à la littérature comparée, voire à l'histoire des sciences, en suivant mes intérêts intellectuels où qu'ils me mènent. »

Actuellement, l'attention de Davidson se porte sur sa récente collaboration avec son collègue français Philippe Mesnard, qui a donné lieu à la publication de La dernière consolation a disparu, édition critique et première traduction intégrale en anglais du récit d'un détenu à Auschwitz, magnifiquement traduit par Rubye Monet. Ce récit singulièrement hanté, issu d’un manuscrit en yiddish de cent-vingt pages écrit pendant son temps à Auschwitz par Zalmen Gradowski, défie les conventions de la littérature de l'Holocauste. « C'est un livre différent de tous ceux que vous lirez sur la Shoah », souligne Davidson. Zalmen Gradowski, prisonnier dans le Sonderkommando, a eu la tâche impensable de conduire ses compagnons prisonniers aux chambres à gaz et de transporter leurs corps aux fours crématoires. Jour après jour, malgré les horreurs inimaginables endurées, Gradowski a méticuleusement détaillé son expérience, témoignant des atrocités qui se produisaient dans le camp. Dans un dernier acte de résistance spirituelle, il a enterré les pages écrites à la main sous les cendres de Birkenau.

Une des caractéristiques distinctives du manuscrit de Gradowski est sa composition à Auschwitz, offrant un compte rendu de première main en temps réel, par opposition à une réflexion rétrospective. Davidson souligne les implications profondes de la résistance de Zalmen Gradowski à Auschwitz, à la fois résistance spirituelle et prise d’armes, aboutissant à sa participation à la destruction d'un crématoire le 7 octobre 1944. Bien que Gradowski ait été tué ce jour fatidique, la signification de sa résistance spirituelle, telle qu’elle se donne à lire dans son manuscrit enterré, persiste. Davidson souligne l'importance de s'engager émotionnellement et intellectuellement avec les récits de l'Holocauste, reconnaissant la nécessité de s'identifier à ceux qui ont vécu à Auschwitz, tout en favorisant la pensée et l'action critiques. À travers son enseignement et sa recherche, il tente susciter une réflexion transformatrice, incitant les étudiants à affronter l'héritage troublant de la Shoah et ses implications pour la société contemporaine. Quant à la difficulté émotionnelle à traiter le matériau lié à l'Holocauste, Davidson admet : « Le savoir ne mène pas toujours à la joie. »

Ce printemps, Davidson proposera un cours aux étudiants de l'Université hébraïque sur la « Théologie philosophique de la Shoah », dans le cadre du département de pensée juive de la faculté des humanités. En explorant les ramifications philosophiques et théologiques profondes de la Shoah, le cours examinera comment celle-ci remodèle le discours entourant le judaïsme et sa conception de Dieu. En analysant les écrits de survivants, de philosophes et d’auteurs tels que Primo Levi, Davidson cherche à comprendre comment les horreurs sans précédent de la Shoah influencent les conceptions de la providence divine, de la consolation et de la foi juive. Davidson pose des questions difficiles : « Que devient le concept de providence divine à la suite de la Shoah ? Devons-nous croire que la Shoah était la volonté de Dieu, que c'était pour notre bien ultime ? Et, le cas échéant, quelles en sont les implications ? Que devient le concept de consolation en lisant le manuscrit de Gradowski ? Quelqu'un peut-il vraiment retrouver la consolation après quelque chose d'aussi insupportable et inhumain qu'Auschwitz ?». Il souligne la nécessité de se débattre avec ces questions complexes, affirmant que la Shoah exige une contemplation et une étude universelles : « Aussi difficiles et déchirantes que soient ces questions, elles sont absolument nécessaires, et sans les aborder, nous ne faisons pas le travail que nous devrions faire. »

Par le biais de son cours, Davidson vise à favoriser une compréhension plus profonde des dilemmes éthiques, existentiels et théologiques posés par l'Holocauste, exhortant des individus de divers horizons, indépendamment de leur domaine d’expertise ou de leur lien personnel avec l'Holocauste, à confronter ses implications pour l'humanité dans son ensemble. « Ce sont des sujets dont les êtres humains ont besoin de parler et dont ils devraient parler. Je veux que cela - même lorsque mes étudiants quittent la salle de classe - reste dans leurs pensées d'une manière dont ils ne peuvent pas s’en débarrasser, et dont ils doivent continuer à réfléchir. »

Un autre sujet qui a captivé l'attention de Davidson est l'intersection de la philosophie et de la transformation de soi. S'inspirant des œuvres de deux de ses collègues devenus de véritables amis, Pierre Hadot et Michel Foucault, Davidson reprend l'idée de pratiquer la philosophie comme manière de vie. Il cherche à explorer l'engagement sans fin dans l'amélioration de soi. En se concentrant sur les exercices de transformation de soi dans le judaïsme et au-delà, il examine divers textes philosophiques, religieux et littéraires pour découvrir les idéaux et les vertus qu'ils proposent. Davidson considère le potentiel transformateur des pratiques religieuses et la valeur qu'elles apportent à la vie de quelqu'un, tout en soulignant la quête perpétuelle de l'amélioration de soi et d'une vie vertueuse inhérente à l'esprit du judaïsme. « Dans le judaïsme, explique-t-il, il y a toujours plus à faire. »

Davidson et son épouse, Diane Brentari, ont déménagé en Israël au milieu de la pandémie de Covid, devenant officiellement des olims et des citoyens israéliens. Tous deux enseignent actuellement à l'Université hébraïque. Interrogé sur leur décision de déménager, il explique franchement : « Je veux me trouver dans un environnement où j'ai continuellement des choses à apprendre. Et heureusement j'apprends ici, à chaque fois que je rencontre un étudiant et à chaque fois que j'engage une conversation avec un collègue du département de pensée juive. » En décrivant son expérience d'enseignement aux étudiants israéliens, Davidson note leur penchant pour le débat animé, une caractéristique qu'il considère comme cruciale pour l'investigation philosophique. « Si vous voulez être philosophe, vous devez aimer argumenter – sur tout. ». Il encourage les étudiants à exprimer leurs propres opinions plutôt que de faire écho à ses propres conceptions encourageant diversité de perspectives et échanges intellectuels. Selon Davidson : « Amener les étudiants à se parler les uns aux autres, même s'ils viennent de milieux différents, est un véritable réalisation pédagogique. ».

De plus, Davidson note que, selon de nombreux érudits talmudiques, ce qui est le plus valorisé dans l'intellect d’un individu est sa capacité à poser une nouvelle question, et non simplement à trouver une nouvelle réponse. À maintes reprises, il rencontre cette même curiosité intellectuelle à l'Université hébraïque, où les étudiants sont enclins à poser des questions originales, contribuant à une expérience d'enseignement très enthousiasmante et gratifiante. À Jérusalem, Davidson a la possibilité de développer des cours qu'il n'a jamais enseignés au cours de ses 40 années dans le monde académique. « À ce stade de ma carrière, je ne veux pas donner les mêmes cours que depuis des décennies. Au contraire, je veux donner des cours qui me mettent au défi et offrent des perspectives inédites. » Lorsqu'on lui demande ce qu'il enseignera l'année prochaine, Davidson ne nous déçoit pas : « Je n'en ai absolument aucune idée. Posez-moi cette question l'année prochaine. ».

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